La vie est un voyage avec Louna Sbou

Dans le monde du co-fondateur et directeur artistique d'Oyoun, l'optimisme prévaut

Si Louna Sbou s’intéresse à vous, elle vous parlera directement en profondeur. « Quand avez-vous pleuré pour la dernière fois et pourquoi ? Qu’est-ce qui vous passionne vraiment ? », demande la PDG et directrice artistique d’Oyoun, l’institution artistique et culturelle antidisciplinaire qui amplifie les perspectives décoloniales, queer*féministes et migrantes qu’elle a cofondée en 2020. C’est cette profondeur qui accompagne sa mission de réaliser l’utopie d’une société libre, dans laquelle règnent l’amour, la confiance et la compassion, et de nous conduire vers un avenir plus lumineux et plus connecté : « Notre travail est lourd. Nous devons équilibrer cette intensité et préserver notre énergie », explique Louna.

À 36 ans, elle est occupée à semer les graines de la prochaine génération. Consciente du pouvoir des relations interpersonnelles, en particulier dans une société marquée par une division sociale omniprésente, elle et son équipe de 30 personnes organisent des expositions, des résidences, des rassemblements musicaux et bien plus encore. Ces lieux servent de sanctuaires où leur communauté peut se ressourcer et mettre en avant sa présence physique et ses expériences vécues. « Dès que j’entre à Oyoun, je peux être moi-même. C’est la seule façon de faire face », dit-elle alors que nous entrons dans le café Adot, au rez-de-chaussée, qui sert de la nourriture et du café éthiopiens authentiques. Un mur affiche Black in Berlin du photographe Yero Adugna Eticha ; la légendaire ville bleue du Maroc, Chefchaouen, en arbore un autre. « [En dehors d’Oyoun], il y a beaucoup de changement de code, d’utilisation de différents langages corporels, ou simplement un sentiment d’isolement », note-t-elle. Elle fait référence à des questions telles que « D'où viens-tu vraiment ? », ce qui, selon elle, n'est pas une curiosité, mais une forme d'altérité.

Les mots de Louna sont porteurs de sens. Possédant une force tranquille et une autorité discrète, elle ne se vante pas de ses réalisations, mais laisse ses actes parler d'eux-mêmes. Alors que nous nous installons confortablement dans la salle d'exposition Kahina, du nom de la guerrière amazighe et icône féministe Al-Kahina, Louna partage son parcours historique depuis le début, en commençant par son signe astrologique (Vierge), sa passion pour la peinture et la poésie et sa tendance à trop réfléchir.

Louna a grandi avec six frères et sœurs et a dû faire face à des obstacles. Ses parents marocains ont émigré en Allemagne dans les années 1980. Son père venait d’une ville du désert, sa mère du bord de mer. En Allemagne, ils ont changé de résidence tous les deux ans à cause de voisins fascistes, ce qui a obligé Louna à fréquenter 13 écoles différentes. Elle se souvient de certaines d’entre elles : l’une d’elles avait une croix gammée tatouée sur le ventre et un groupe qui a mis le feu à leur maison. « Tout était toujours en suspens, car je savais que ce n’était pas ce que je considérais comme mon chez-moi », soupire-t-elle. Louna décrit également son identification culturelle comme transitoire : « Il n’y a pas un seul Marocain, ni un seul Africain, ni un seul Musulman, ni un seul homosexuel. Ce n’est pas un monolithe, mais plutôt très diversifié et très profond », dit-elle. Aujourd’hui, après avoir lutté toute sa vie contre les effets de l’oppression latérale, elle embrasse consciemment son chemin de guérison et trouve du réconfort dans le fait de savoir qu’elle n’est pas seule dans ce parcours.

À 16 ans, après un échange scolaire d’un an aux États-Unis, elle fonde sa première entreprise. À 22 ans, un vol de retour manqué prolonge une escapade de deux semaines prévue en un séjour inattendu de trois ans dans la région du SWANA. « J’étais plus jeune et plus sauvage », rit Louna en repensant à ses expériences au milieu des montagnes luxuriantes de Jordanie avec leurs cascades en cascade, l’emblématique désert rouge et la mer Morte. Son voyage l’a également emmenée dans les centres animés de Damas, Beyrouth et d’autres centres urbains. Grâce au couchsurfing et au réseautage, Louna s’est pleinement impliquée dans chaque lieu. « C’est aussi un immense privilège de pouvoir simplement rester », ajoute-t-elle. Cela a changé sa vie à plusieurs reprises : Louna n’a plus non plus recherché des emplois en entreprise, comme ses rôles de consultante, de coach ou de diplomate culturelle. « Être entourée de politiciens, d’hommes d’affaires dans des contextes capitalistes et néolibéraux ne m’a pas bien réussi. « J'ai donc laissé tomber ce qui me retenait et ce que je ressentais comme étant à la hauteur », note-t-elle. Aujourd'hui encore, Louna n'a pas peur de prendre des risques, ce qui est sa plus grande force, selon ses proches.

En 2015, elle s’est installée à Berlin avec son partenaire et a étudié les financements publics. Une rencontre fortuite a conduit à l’ouverture de son premier projet, Be’kech, ou Wedding’s cosy living room community space and so called Anti-Café, en 2017. Acceptant le temps comme seule monnaie (cinq centimes de l’heure pour la nourriture, les boissons, les bureaux, les ateliers, etc.), le lieu populaire accueillait jusqu’à 200 personnes lors de ses événements nocturnes. En 2020, et après une proposition gouvernementale de 90 pages, Oyoun, avec une capacité beaucoup plus importante, est né. Ici, chaque membre apporte sa propre histoire, son profil et ses déclencheurs – en plus de son travail et de son avenir imaginaire, et façonne Oyoun d’une manière très collective et organique. « C’est beau de voir comment ces réalités s’écoulent », réfléchit Louna. Ce qui est vraiment gratifiant aussi, ajoute-t-elle, c’est de voir la confiance de chaque nouveau membre se renforcer.

Un mois après notre rencontre, Louna et sa famille ont embarqué pour un voyage de huit jours en train jusqu’à Casablanca pour séjourner chez sa mère, qui y réside désormais avec bonheur. Le voyage – une forme d’exploration pour elle plus jeune, mais désormais une façon de nourrir sa réflexion et sa prise de conscience – est un véritable privilège. « Ayant été exposée à l’injustice à travers le monde, à l’impact du colonialisme et au monde d’aujourd’hui, le voyage était plus qu’une leçon – c’était l’université de la vie. » Quel monde envisage-t-elle pour ses deux filles, qui ont trois et cinq ans ? « Un monde avec une nécessité collective de se soutenir et de s’aimer plutôt que de faire quoi que ce soit d’autre », répond-elle.

Elle imagine également leur avenir au Maroc, loin de la résurgence de l’extrême droite en Europe, une vie côtière offrant un cadre apaisant à la créativité. Le souhait de Louna de réunir les populations de la diaspora africaine et leurs pays d’origine à travers des résidences d’artistes locaux témoigne de son engagement envers l’art en tant que pont entre les domaines souvent intangibles des luttes et des rêves, mais aussi pour renforcer les liens culturels et promouvoir un sentiment d’identité partagé. Et parce qu’elle est Louna, quel que soit son chemin, ses aspirations portent la promesse d’un monde plus inclusif, laissant une empreinte durable à la fois sur la communauté créative et sur la société au sens large qu’elle cherche à enrichir.

Merci Louna d'avoir partagé ton histoire avec nous. Suivez Oyoun surInstagram, ou découvrez leur programme artistique et culturel aux multiples facettesen ligne.

Photographie de Jessica Jones
Vidéographie de Jonny Brooking
Texte et interview d'Ac Schubert

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